Apport de la simulation au calcul des outillages de forge

Créé le : 03/08/2009

1 - INTRODUCTION
L'intérêt technico-économique des procédés de mise en forme par forgeage se justifie généralement pour les moyennes et grandes séries. Leur compétitivité, par rapport aux procédés concurrents, dépend de plusieurs facteurs et particulièrement du coût et de la tenue en service des outillages. Ces procédés imposent la réalisation et la mise au point d'outillages spécifiques à une fabrication dont le coût ne peut s'amortir que sur la production de plusieurs dizaines de milliers de pièces. La durée moyenne d'utilisation des outillages, quantifiée par le nombre de pièces produites avant réforme, se situe pour les procédés de forgeage à entre 10000et 40000 pièces. Ceci conduit à des coûts d'outillage qui peuvent représenter 5 à 15% du coût d'obtention de la pièce forgée [1].
On note industriellement que la durée d'utilisation d'un outillage de forgeage à chaud est variable, mal maîtrisée et souvent inférieure aux prévisions. L'entreprise doit donc soit prévoir des outillages supplémentaires pour assurer les délais, soit risquer les arrêts de production si l'outillage s'use ou se dégrade plus rapidement que prévu. La variabilité de durée de vie dépend de nombreux paramètres identifiés ou diffus relatifs à la conception, à la réalisation et à l'utilisation de l'outillage.
Cet article présente une démarche de conception et d'optimisation des outillages de forge basée sur la simulation numérique et le calcul de structures. Les résultats obtenus dans le cadre d'une étude professionnelle appliquée à un cas industriel illustrent chaque étape de la démarche et en démontrent l'intérêt en s'appuyant sur un bilan économique.
2- ENDOMMAGEMENT DES OUTILLAGES DE FORGE
Les outillages de forgeage à chaud sont soumis à des sollicitations thermo-mécaniques sévères qui génèrent des endommagements conduisant à la réforme rapide d'un outillage. Classiquement, les endommagements sont regroupés en 4 ou 5 catégories, de la déformation plastique à l'usure en passant par la fissuration mécanique. Les résultats d'une enquête professionnelle indiquent que l'usure est la cause majeure de réforme, suivie de la fissuration mécanique (Fig. 1).
Toutefois de nombreux outillages dont la durée de vie est jugée correcte, atteignent un stade d'usure qui impose leur réforme. A l'exclusion de ces outillages, les causes majeures de dégradation sont alors à part égale l'usure rapide et la fissuration mécanique.
Figure 1. Principales causes de réforme des outillages de forge à chaud.
Pour prolonger la durée de vie et donc réduire le coût d'outillage par pièce, le technicien a en général une démarche visant à lutter contre ces dégradations rapides, par la mise en place de nouvelles solutions plus performantes. Ces solutions, bien qu'efficaces, ont souvent l'inconvénient d'augmenter le coût et le délai de réalisation de l'outillage. De ce fait, l'amélioration, sauf si elle conduit à un résultat marquant (durée de vie multipliée par 2 ou 3) n'est pas toujours économiquement intéressante.
Par conséquent, il ne faut pas négliger la voie qui consiste à réduire les sollicitations de l'outillage, en optimisant la gamme de forgeage et en modifiant la conception de l'outillage .
3 - DEMARCHE D'OPTIMISATION
La démarche globale d'optimisation proposée par le CETIM met en jeu les diverses compétences utiles aux praticiens et fait appel aux outils d'analyse actuels en les utilisant dans leur plage d'efficacité maximale. La figure 2 illustre la démarche sur la base d'un cas industriel.
Figure 2. Démarche globale de conception
et d'optimisation des outillages.
La première étape “ Analyse ” consiste, selon le cas (production en cours ou à venir), à des expertises métallurgiques visant à sélectionner au mieux les matériaux de l'outillage, leurs traitements thermiques et éventuellement leurs traitements superficiels ou revêtements. Les solutions métallurgiques pouvant être proposées ici sont issues de l'expérience (fabrication à venir) complétée par des informations supplémentaires (fabrication en cours) telles que des analyses d'avaries ou certains résultats de calcul.
Dans tous les cas il sera possible dans cette première étape de réaliser des “ expertises métier ” s'intéressant aux aspects thermiques des pièces et des outillages, aux machines de forge utilisées (capacité, déformation, usure) ainsi qu'aux aspects environnementaux (type de lubrification et mode d'application, bridage et appui de l'outil, amenage et positionnement de la pièce). Finalement cette étape d'analyse apporte, par des bilans technico-économiques, les éléments de décisions essentiels à l'orientation des études à conduire.
La seconde étape “ Modélisation ” consiste à transcrire l'outillage et son contexte de travail en données chiffrées utiles et utilisables dans la suite. Par exemple, la connaissance des lois de comportement rhéologiques du matériau mis en forme permet d'une part de mieux appréhender la robustesse de la gamme (sensibilité aux variations des paramètres liés au process) et d'autre part de réaliser, si besoin, des simulations numériques fiables. Outre les dimensions des outillages (gravures et bloc), cette étape de modélisation s'intéresse aux valeurs et modèles associés aux matériaux (pièce et outil), à la machine ainsi qu'à l'interface pièce-lubrifiant-outil.
La troisième étape “ Simulation ” consiste à réaliser une simulation numérique de procédé de forgeage. Pour cela des logiciels de simulation numérique de formulation bidimensionnelle (2D) ou tridimensionnelle (3D) peuvent être utilisés. Il est essentiel de choisir judicieusement le logiciel le plus adapté au procédé. En effet, si les logiciels 2D sont le plus souvent utilisés par la profession pour les applications axisymétriques, il ne faut pas perdre de vue qu'ils peuvent aussi se montrer très efficaces pour analyser localement l'écoulement de la matière dans une section de l'outillage tridimensionnel. Le passage aux logiciels 3D doit être justifié car ceux-ci sont encore coûteux et demandent plus de temps (modélisation, calcul, exploitation). Dans le cadre de cette démarche d'optimisation, et vis-à-vis de l'outillage, les simulations numériques (2D ou 3D) sont effectuées en considérant les outillages comme des surfaces rigides. A ce niveau cette hypothèse permet de réduire considérablement les temps de calculs. De plus tous les logiciels de simulation numérique 3D actuels ne permettent pas de prendre en compte le volume de l'outillage. Ce type de simulation renseigne par conséquent sur les sollicitations mécaniques en surface des outillages (pression de contact, vitesses de glissement) et permet de prédire la localisation des zones préférentielles d'usure.
La quatrième étape “ Calcul ” permet de déterminer les contraintes mécaniques dans le volume de l'outillage ainsi que la déformation résultant des sollicitations de surface issues de l'étape simulation. On utilise pour cela un logiciel de calcul de structure pour deux raisons :
§ Ces logiciels sont particulièrement efficaces et rapides pour résoudre des problèmes linéaires (domaine élastique).
§ De plus en plus de logiciels “ CAO ” comprennent un module de calcul de structures intégré.
A l'issue de ces quatre étapes il est possible d'envisager un schéma d'optimisation global, c'est-à-dire en reprenant toutes les étapes avec des modifications éventuelles, ou local sur l'une ou l'autre des étapes. Si les modifications à apporter concernent la géométrie des outillages (gravures, dimensions du bloc, appuis, bridage) les travaux d'optimisation seront principalement effectués en reprenant la quatrième étape en supposant que les modifications apportées n'influencent pas significativement la sollicitation (pression de contact).
4 – APPLICATION – CAS INDUSTRIEL
Le cas d'étude choisi est un outillage de forge destiné à réaliser un boîtier faisant partie d'une famille de pièces jugée stratégique pour l'entreprise partenaire.
Cet outillage est composé de trois paires de matrices en acier X38 Cr Mo V5 (trempe, revenu, nitruration) correspondant aux opérations d'ébauche, de répartition et de finition. Les matrices d'ébauche et de finition sont équipées d'inserts interchangeables en acier X38 Cr Mo V5.3.
Le coût de fabrication de ces pièces a été évalué sur la base d'une durée de vie de l'outillage compris entre 15000 et 20000 pièces. Dans ces conditions la part de l'outillage dans le coût de la pièce est égal à 9,2 % pour un coût de fabrication des pièces indexé à 100 (Fig. 3).
Les premières fabrications des boîtiers ont montré que la réalité était différente des prévisions. En effet, des fissurations mécaniques de la paire de matrices de finition ont été observées (Photo 1) après forgeage de 6000 à 12500 pièces ce qui engendre : arrêts de production, démontage de l'outillage, réparation par soudage et remontage. Par ailleurs, une usure prématurée de l'insert d'ébauche a été observée (Photo 2). Dans ces conditions, le coût de revient des pièces est égal à 104,2 (soit une augmentation de 4,2 % imputable à l'outillage) Notons que dans ce cas la part de l'outillage dans le coût de la pièce est passée de 9,2 à 12,5 (Fig. 3).
Figure 3. Coûts de fabrication prévisionnels et constatés.
Suite à ces événements, il a été proposé d'appliquer la démarche d'optimisation précédente avec pour objectif l'augmentation de la durée de vie de l'outillage jusqu'au niveau initialement prévu par l'entreprise.
Photo 1.
Matrice de finition. Fissuration. Photo 2.
Matrice d'ébauche. Usure de l'insert.
Pour réunir les compétences et les moyens nécessaires à l'application de la démarche d'optimisation, un groupe de travail a été constitué par des membres du CETIM (Services Simulation – Calcul et Métallurgie) et des collaborateurs de la société fabriquant les boîtiers (outillage, forge, etc.).
Tout d'abord, les solutions métallurgiques (matériaux et traitements) utilisées pour les outillages ont été validées à l'issue de l'étape “ Analyse ”. Il a toutefois été proposé de recharger l'insert de la gravure d'ébauche pour lequel une usure prématurée avait été observée lors des premières fabrications. Pour des raisons économiques, cette solution de rechargement n'a pas été retenue. Il s'est avéré plus intéressant de programmer le remplacement de l'insert à mi-durée de vie de l'outillage (8500 pièces).
Puis, les étapes de modélisation, de simulation de la gamme de forgeage et de calcul de l'outillage de finition (fissuré) ont été effectuées. Ces travaux ont permis de construire un modèle numérique fiable en validant, à tous les niveaux, la bonne adéquation entre les prédictions issues de la simulation et la réalité.
Les écoulements de matière (remplissage, étalement de bavure) prévus par la simulation ont été validés par comparaison avec les pièces après chacune des trois opérations de forgeage (Fig. 4).
Les zones préférentielles d'usure prévues par la simulation ont été comparées aux usures observées sur les trois paires d'outillage (Fig. 5 et Photo 2).
Une explication mécanique de la fissuration observée (Photo 1) sur la paire de matrices de finition a été apportée. En effet, un niveau de contrainte (principale de traction) très supérieur à la résistance du matériau de l'outillage est observé dans la zone fissurée (Fig. 6).
Figure 4. Comparaison de la pièce simulée
avec la pièce réelle après l'opération de finition
Figure 5. Zone préférentielle d'usure prédite par
la simulation de l'opération d'ébauche. Insert.
Figure 6. Contraintes principales de traction dans
la matrice inférieure de finition. Zone fissurée
Finalement, disposant d'un modèle numérique fiable, le groupe de travail a proposé des voies d'améliorations qui ont fait l'objet de validations en repérant seulement la dernière étape “ Calcul ”. Des modifications géométriques ont été apportées sur les trois paires de matrices (Tab. 1).
Tableau 1. Modifications apportées sur les différentes matrices
REPARTITION
Ø Augmentation de la profondeur de la matrice inférieure (meilleure répartition des volumes, meilleur positionnement de la pièce dans la matrice d'ébauche).
EBAUCHE
Ø Augmentation des rayons.
Ø Augmentation de la dépouille de l'insert.
FINITION
Ø Augmentation des rayons.
Ø Réalisation d'un cassage d'arête.
La figure 7 (par comparaison avec la figure 6) illustre l'effet de l'augmentation du rayon dans la zone fissurée de la matrice inférieure de finition sur les contraintes principales de traction dans la masse de cette matrice.
Dans cette zone la faible augmentation du rayon conduit à réduire les contraintes principales de traction de l'ordre de 15%. Ces contraintes restent élevées (par rapport à la résistance du matériau de la matrice) mais ce calcul simple confirme l'effet attendu de cette modification.

Figure 7. Contraintes principales de traction dans la matrice inférieure de finition.
Calcul avec augmentation du rayon dans la zone fissurée.
Les modifications proposées et validées ont été prises en compte pour la réalisation des outillages suivants. Le suivi des trois fabrications réalisées avec ces outillages conduit aux résultats suivants :
· La durée de vie moyenne est égale à 17000 pièces ce qui correspond aux prévisions initiales et à une augmentation de durée de vie de 36% par rapport aux premières fabrications (12500 pièces).
· Le remplacement de l'insert d'ébauche (avec modification de l'angle de dépouille) à mi-durée de vie s'avère être efficace.
· La fissuration des matrices de finition n'est pas apparue ce qui évite de les réparer, libère du temps pour l'atelier d'outillage, et autorise le relavage de ces matrices.
· Le coût de l'outillage est inchangé.
5 – CONCLUSION
Une démarche d'optimisation des outillages de forge faisant appel aux diverses compétences des forgerons et aux outils d'analyse et de calculs actuels a été présentée. La démarche a été appliquée à un cas industriel dans le cadre d'une étude professionnelle CETIM.
Pour le CETIM, ces travaux ont permis de mieux évaluer le potentiel de la démarche d'optimisation qui peut être mise en œuvre soit de façon préventive (conception des outillages), soit de façon curative (remédier à des avaries ou améliorer une situation insatisfaisante).
Pour l'entreprise partenaire, l'application de la démarche d'optimisation a permis d'éviter une perte de 4% sur le coût de revient des pièces en augmentant la durée de vie des outillages de 36% sans en changer le coût. De plus, cette augmentation de durée de vie a des conséquences bénéfiques évidentes sur la productivité.
Le bilan financier final montre que les résultats obtenus permettent d'amortir le coût des travaux d'étude sur un an en considérant une production annuelle de 190000 pièces. Notons que l'entreprise partenaire réalise environ 100000 boîtiers de chaque référence de la famille de pièces par an.
REMERCIEMENTS :
Les auteurs remercient le SNEF (Syndicat National de l'Estampage et de la Forge) pour sa participation à ces travaux et la société qui tout en restant anonyme a permis la communication de cette application.
REFERENCES :
[1] C. BOURNICON. Sollicitations et modes d'endommagement des outillages de forge à chaud. Publication CETIM.
[2] Stage CETIM “ Outillage de mise en forme par forgeage ”.
[3] P. RAVASSARD. Aide à la conception des outillages par la simulation et le calcul – Journée technique ATTT – CEM – CETIM du 25 Mars 1999.